Paris, le 8 décembre 2020—2020 est déjà entrée dans les livres d’histoire. La pandémie mondiale liée à la COVID-19 a précipité la planète dans la pire crise depuis la Grande Dépression, bouleversant le fonctionnement des sociétés dans toutes leurs dimensions. Gouvernements sous pression, fondamentaux de la souveraineté et de l’autonomie nationales à repenser intégralement, risques d’implosion sociale et défiance envers les gouvernements, crise alimentaire mondiale, transformation du paysage économico-industriel : tels sont les bouleversements majeurs que pointe le cabinet mondial de conseil en stratégie Kearney dans son rapport annuel sur l’état du monde dans les cinq années à venir. Et pour sortir de cette crise à multiples facettes, entreprises et pouvoirs publics n’auront d’autre choix que de travailler ensemble pour éviter une spirale infernale où cristalliseraient toutes les tensions qui parcouraient déjà la planète avant cette secousse inédite.

L’impact de la COVID-19 sur la santé, les économies, les équilibres géostratégiques et les sociétés sont évidemment au centre du rapport du Global Business Policy Council, le think tank du cabinet Kearney basé à Washington et parmi les structures prospectives les plus respectées. Par les dérèglements qu’elle a générés et continue de générer, la crise sanitaire a profondément bouleversé les équilibres économiques, provoqué des faillites qu’on pensait impossibles, aggravé les dettes publiques et plonger les plus fragiles, individus et pays, dans une détresse nouvelle, la vague de trop pour un équilibre mondial déjà précaire et préoccupant. Le rapport note par exemple que le déficit fédéral américain a atteint 17,9% au cours de l’exercice 2020, soit près du double du déficit le plus élevé observé lors de la Grande Dépression (9,8%). Autre phénomène, l’insécurité alimentaire risque de s’aggraver de manière alarmante du fait de la perturbation des chaînes d’approvisionnement et les pays émergents souffriront durement d’une baisse des envois de fonds ainsi que d’une raréfaction de l’aide alimentaire. C’est un tableau inquiétant et un appel à l’action d’urgence que livre cette année Kearney.

5 grands bouleversements à l’œuvre :

Des gouvernements sous forte pression : face à la hausse des inégalités, à l’urgence climatique, les gouvernements ont de façon massive utilisé tous les leviers à leur disposition pour absorber les chocs en cascade de la crise sanitaire. Rompant avec toutes les orthodoxies financières et économiques ils ont colmaté la digue à court terme via des politiques fiscales et monétaires que l’on n’aurait imaginées ni pensables ni possibles il y a quelques mois encore ; mais ils ont de ce fait remis à demain la gestion d’une bombe à retardement d’une ampleur inconcevable en créant une dette considérable pour l’avenir et un foyer d’instabilité à proportion.

a. Exemple : coup de pouce fiscal au Japon à hauteur de 20% du PIB
b. Exemple : USA = effort de 2,3 trillion$
c. Exemple : Europe = 750€ billion€ pour le fonds de soutien Next Generation
d. Exemple : taux d’intérêt au Royaume-Uni plus bas que jamais = 0,1%
e. Exemple : appel à la législation de la guerre froide aux USA pour contraindre la production industrielle (cf General Motors)
f. Exemple : en octobre, au UK, le rapport dette/PIB était à son plus haut niveau depuis 50 ans
g. Plus d’exemples dans le rapport
L’urgence des autonomies nationales : après la globalisation des précédentes décennies à peine perturbée après la crise financière par une tendance à l’isolationnisme et à l’ « islandisation », la crise a mis en lumière l’importance pour les pays de protéger/retrouver une autonomie stratégique dans des secteurs clés. Toute la question sera de savoir comment et avec quelles conséquences car si ce mouvement de balancier répond effectivement à l’enjeu de protéger les économies et sociétés développées, elle est de nature à creuser le gouffre entre les pays les plus forts et les plus fragiles déjà si inégaux face à la ressource financière et au levier de la dette.

a. Exemple : courses aux vaccins
b. Exemple : confrontation USA-Chine
c. Exemple : Brexit
d. Exemple : plan européen pour une souveraineté technologique
e. Exemple : remises fiscales de 22 billion$ aux USA en juin dernier
f. Plus d’exemples dans le rapport
Des sociétés toujours plus divisées et inégalitaires, à la limite de l’implosion : les inégalités vont s’inscrire dans une trajectoire encore plus marquée, un phénomène amplifié par la pandémie mondiale. Dans ce contexte, des pans entiers de nos sociétés se retrouvent marginalisés et sans capacité réelle à trouver leur place dans des économies et des sociétés moins protectrices et sans ressources à redistribuer. La capacité à les soutenir, les rassurer et les réintégrer sera le défi majeur pour projeter avec un peu de sérénité un vivre-ensemble déjà largement fragilisé.

a. Exemple : situation des afro-américains aux USA (14% de la population, 30% des infections)
b. Exemple : accélération de l’automatisation des emplois non-qualifiés (une étude d’Oxford Economics prédit que 20 millions d’emplois manufacturiers dans le monde pourraient être automatisés d’ici 2030)
c. Exemple : Impact maximum sur les emplois peu qualifiés en hôtellerie et restauration
d. Exemple : e-éducation
e. Exemple : charge mentale pour les mères de famille
f. Plus d’exemples dans le rapport
La perspective d’une crise alimentaire mondiale : économique, industrielle, politique, humanitaire, la crise mondiale sera aussi - et sans précédent moderne - une crise alimentaire ; si rien n’est fait et très vite, selon le Programme Alimentaire Mondial, nous pourrions passer de 130M de personnes souffrant de la faim en 2019 à 265M

a. Afrique sub-saharienne : 23% de la population souffre de malnutrition, soit 239M de personnes
b. Asie du Sud : 15%, soit 279M de personnes
c. L’Organisation des Nations-Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture estime que 8% de la population européenne et nord-américaine souffre d’une alimentation insuffisante. Ce taux monte à 10% en Grande-Bretagne et à 11% aux Etats-Unis
d. Aide humanitaire internationale au Yemen : baisse de 4 billion$ en 2019 à 1,75 billion$ en 2020
e. Plus d’exemples dans le rapport
Fusions-acquisitions, consolidations : le temps des géants ? De très nombreux secteurs ont été si profondément fragilisés par la crise, révélant les faiblesses de grands acteurs traditionnels, mettant à mal les systèmes de soutien public traditionnels, que les appétits des fonds d’investissements s’en trouvent ravivés. Face à une économie qui verra les faillites atteindre tous les segments des entreprises, locales ou mondiales, dans tous les secteurs d’activité, nous allons connaître et cela a déjà commencé des mouvements structurants de rapprochement et de consolidation, et une activité par conséquent sans équivalent de fusions et de reprises d’entreprises.

a. Avec plus d’1,5 trillion$ en capital, les fonds d’investissements ont opéré plus de 5 500 deals entre janvier et septembre 2020
b. Le conglomérat chinois Fosun a déclaré que la crise de la COVID-19 représentait une « exceptionnelle opportunité » économique
c. 19 : le nombre d’acquisitions annoncées par Alphabet, Amazon, Apple, Facebook et Microsoft entre janvier et mai 2020, un record
d. Tourisme et voyage : baisse de 97% de l’activité
e. Partenariat American Airlines – JetBlue
f. Acquisition de Concho Resources Inc. par ConoooPhilips pour 9,7billion$, le plus gros deals de 2020
g. Plus d’exemples dans le rapport

« La simultanéité de la crise sanitaire mondiale, des difficultés économiques et des troubles sociaux met en péril l’équilibre du monde, et va changer définitivement le fonctionnement des économies et des sociétés. Les gouvernements, parvenus au bout de l’arsenal dont ils disposent et pour lequel ils ont fait fi des tabous et des orthodoxies en vigueur, sont confrontés à un niveau de défiance lui aussi inédit et seront bientôt dans l’impasse pour fournir davantage de protection avec moins de ressources. Les dirigeants politiques de la planète sont appelés à manœuvrer sans boussole et sans barre », analyse Nicolas Lioliakis, Président de Kearney France. « La seule issue est de faire preuve de réalisme, de responsabilité et de solidarité. Face aux menaces qui pèsent sur les entreprises – quelle que soit leur taille-, pour les plus fragiles, pour un marché du travail en pleine réinvention, pour une harmonie sociale plus que jamais fragile, il sera capital que public et privé coconstruisent dans la durée, un monde post-pandémie qui reste à imaginer ; un exercice de funambule auquel nul ne saurait se soustraire ».

Le rapport complet est disponible ici.